Développer ses compétences pour un leadership plus juste

Par Stéphanie Pelland - 2020 | 10 | 20

Depuis sa mise en ligne en 1998, des millions de personnes ont passé le test d’Association Implicite (TAI). Ce test est le fruit des travaux d’une équipe de neuroscientifiques qui souhaite amener de nouvelles façons de comprendre les attitudes, stéréotypes et autres préjugés cachés qui influencent la perception, le jugement et l’action.

Nos biais

Plusieurs études scientifiques ont par la suite utilisé les données du TAI.

L’une d’elles démontre que 75 % des participants ont associé hommes et rôles liés au marché du travail, et femmes avec des rôles liés à la famille. Quand on regarde les données, en 2019, les femmes représentaient 47.4% de la force de travail canadienne. Comme quoi certains préjugés prennent beaucoup de temps à se déconstruire.

Une autre étude, toujours basée sur les mêmes données, a permis d’isoler les résultats de professionnels en acquisition de talents : on a observé une tendance à favoriser les hommes dans leurs décisions de recrutement.

Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact de nos biais inconscients sur nos milieux de travail, comment nos leaders en entreprise peuvent-ils tendre vers des décisions plus éveillées et justes? C’est la question que j’ai posée à Normand Côté, coach exécutif et VP chez Optimum Talent, cet article offre un survol des points clés de notre discussion.

Authenticité et climat sécuritaire

Normand soulève le point très tôt lors de notre rencontre : éveiller des dirigeants et gestionnaires sur leurs biais aura très peu d’impact s’ils ne sont pas prêts à faire une analyse de conscience authentique.  

« Il est primordial que les leaders avec lesquels je travaille soient vulnérables envers eux-mêmes afin qu’ils puissent identifier des éléments, des patrons ou des comportements non reconnus jusqu’à présent. »

Normand Côté

Coach exécutif et VP chez Optimum Talent

Pour se sentir prêt à faire un examen de conscience, d’abord faut-il que le climat s’y prête. C’est pourquoi Normand, comme coach expérimenté, commence ses interventions en partageant ses propres vulnérabilités, qu’elles soient des idées préconçues véhiculées par le passé, ou des compétences non techniques qu’il cherche à développer.  

Cette approche révèle l’authenticité de sa démarche. Elle vise à rendre ses interlocuteurs plus détendus et ouverts à partager.  

Lors de ses interventions, Normand s’est développé une marche à suivre, une méthode en quelque sorte, qui lui permet d’aller au fond des problématiques. Il amène d’abord son interlocuteur à déterminer la nature de ses tabous. S’ils ne sont pas nommés, on risque fort bien de ne pas les reconnaître, et donc de ne pas les admettre. Après avoir identifié ses préjugés, on cherche ensuite à comprendre leur source. Quatre éléments sont essentiels à la réussite de cet exercice :  

  1. Préserver une attitude d’ouverture en évitant de juger ou de critiquer notre interlocuteur
  2. Paraphraser notre interlocuteur pour démontrer qu’on saisi bien ce qu’il nous dit
  3. Faire preuve de patience et d’empathie, cet exercice peut se révéler très ardu pour certains
  4. Demeurer conscient du langage non verbal, des non-dits. 

Intelligence émotionnelle: les compétences à développer

Le concept de l’intelligence émotionnelle reste plutôt récent, ce n’est que dans les années 90 que les scientifiques s’y penchent plus sérieusement.  

Il existe d’ailleurs plusieurs modèles pour nous aider à comprendre notre intelligence émotionnelleLes plus répandus sont ceux de Salovey et Mayer, Bar-on et de GolemanNormand, pour sa part, est certifié SuccessFinder. Il utilise ce test développé expressément pour le milieu du travail et qui offre davantage de précisions et de nuances que les modèles plus populaires. 

À l’aide des résultats du test, Normand est à même d’analyser exhaustivement la personnalité du dirigeant qu’il a devant lui. Il peut ainsi lui proposer des pistes pour améliorer son intelligence émotionnelle, et par ricochet, sa capacité à se connecter et analyser ses décisions pour en déceler des biais potentiels.  

Normand se concentre sur trois traits à travailler pour stimuler son intelligence émotionnelle.  

L’intuition

Cela peut sembler contre-productif, mais en portant une attention particulière à nos intuitions et réactions, nous devenons plus aptes à faire le travail d’éveil envers soi. C’est-à-dire se connecter à nos émotions, observer comment elles se manifestent intérieurement, et se poser des questions sur les raisons pour lesquelles nous les ressentons.  

De plus en plus d’études menées en neuroscience indiquent que notre cerveau, non seulement interagit, mais est aussi affecté par les milliards de bactéries contenues dans nos intestins. L’influence de notre microbiote s’étendrait donc bien au-delà de notre intestin. Elle irait jusqu’à impacter notre perception du monde et altérer nos comportements

Ainsi, prendre des décisions basées sur notre « cerveau intestinal » est une bonne façon de développer notre intuition. On débute par des décisions anodines, sans réelles conséquences si elles s’avèrent mauvaises. Ensuite, lorsqu’on constate que nos décisions s’avèrent bonnes, on accroit notre niveau de confiance. Le but est de devenir de plus en plus attentif à ce que notre cerveau intestinal nous recommande. 

La confiance en soi

Travailler sur notre confiance en soi s’avère aussi bénéfique, qu’elle soit très forte, ou plutôt basse. 

« Lors de séances de coaching, j’observe chez certains participants un niveau de confiance en soi très élevé. Bien que cette forte confiance en soi permette de prendre des décisions plus rapides et tranchées, elle peut aussi mener à des décisions biaisées. » 

Compte tenu du nombre de décisions devant être pris chaque jour par un dirigeant d’entreprise, le cerveau a pour réflexe d’aller vers des raccourcis. On se retrouve donc à la merci de nos biais.  

Lorsque possible, prendre le temps de se questionner avant de prendre une décision importante, aller chercher des données et consulter des gens à l’extérieur de notre cercle rapproché s’avère utile et peut nous prémunir contre une décision trop rapidement prise.  

D’un autre côté, lorsque Normand intervient auprès d’interlocuteurs ayant une plus faible confiance en eux, il observe que ceux-ci se questionnent énormément et se sentent obligés de vérifier et contre-vérifier les données. Cette remise en question ralentit la prise de décision, et sème également la confusion auprès des collègues. Lorsqu’une personne ne semble pas convaincue de l’argument qu’elle avance, son équipe mettra en doute le bien-fondé de ses décisions.  

Les capacités communicationnelles 

Développer de bonnes capacités communicationnelles sert d’abord à créer un milieu où nous nous sentons en confiance d’adresser des sujets potentiellement tabous. Normand rappelle sept éléments clés à garder en tête pour accroître ses capacités communicationnelles : 

  1. Écouter avec respect, en accordant toute son attention à son interlocuteur 
  2. Regarder son interlocuteur dans les yeux 
  3. Ne pas hésiter à poser des questions 
  4. Prendre des notes 
  5. Reformuler pour faire transparaître ses bonnes intentions, et s’assurer que l’on saisit bien le message
  6. Donner suite lorsque l’on donne notre parole 
  7. Travailler sa capacité à mettre fin à une conversation 

L’éveil quant à nos préjugés n’est ni simple ni facile. Cet exercice pourrait même s’avérer un échec par manque de vulnérabilité, si la démarche n’est pas authentique, ou induite par autrui. C’est pourquoi travailler sur son intuition, sa confiance et ses capacités communicationnelles est primordial non seulement pour la création de lieux de travail plus équitables et inclusifs, mais aussi pour des relations de travail efficaces, qui engendrent la performance. 

 

Cet article est le deuxième d’une série de trois, découvrez notre premier article sur les biais en milieu de travail ici.

Écrit par
Stéphanie Pelland